Jour 5, Le Ring Of Kerry et Jour 6, Le Burren
10 et 11 Septembre 2012
C’est lors de notre voyage en Irlande qu’on découvrit l’existence des forts circulaires. Nous en avons visité pas moins de quatre, uniquement dans le Kerry et le Burren. Des vestiges plus ou moins bien conservés d’un temps jadis, des forts, circulaires, la plupart du temps perdus dans la nature et quelque fois envahis par la végétation. Une simple mention rapide dans le guide et nous voilà parti à leur recherche, sur place peu ou pas d’information… Du coup, en grande passionnée d’Histoire et d’Archéologie, je n’ai pu m’empêcher de me demander quelles étaient leurs histoires et leurs origines.
Comment une simple recherche se transforme en véritable casse-tête ….
L’utilisation du terme ring-fort dans le jargon archéologique est assez récent (début du 20e siècle) et regroupe sous un même nom une grande variété d’habitat Irlandais primitif (ráth, lios, caiseal et cathair). Ce terme a peu à peu été accepté par la majorité de la communauté d’archéologue car il permet de ne pas exclure les autres constructions similaires observées en dehors des frontières de l’Irlande (comme au Pays de Galle et en Cornouailles où elles sont appelées Rounds).
Étendu maintenant au vocabulaire courant des guides touristiques sur l’Irlande, le terme de fort circulaire n’en demeure pas moins un petit mystère car ils ne s’attardent jamais sur le sujet … La question est donc : Qu’est ce qu’un ring-fort, excepté le fait que ce soit, comme son nom l’indique un « fort circulaire » ? Qui peut croire qu’une question aussi banale ne puisse pas trouver de réponse en quelques clics sur Google, mais bien en plusieurs heures de lecture d’articles scientifiques, de sites amateurs et autres bizarreries, le tout en Anglais bien sur, car les sources françaises sont bien pauvres…
Mais alors, qu’est ce que c’est ?
Comme son nom l’indique, ring-fort désigne un espace de forme circulaire fortifié, plus ou moins grand, qui peut être délimité par un mur d’enceinte en pierre (stone ring-fort) ou une palissade en bois avec un fossé pour ceux en terre (earthen ring-fort).
En Irlande, on différencie les forts circulaires en terre ráth (rath) et lios (lis), des forts circulaires en pierre caiseal (cashel) et cathair (caher). Dans le principe, ces forts sont de taille modeste pouvant contenir au moins un bâtiment à l’intérieur. On parle plutôt de dún en Irlande ou de hill-fort en Cornouailles pour désigner des forts de tailles plus importantes, construits généralement sur un promontoire et servant de bastion à un chef de clan.
Cette définition très large ne différencie pas les ring-forts selon leur fonction, qui peut être du simple habitat à l’habitat seigneurial, ou même un lieu de culte, ni selon leur date de construction, qui s’étend en effet de l’âge de fer au début du Moyen-âge.
C’est pourquoi un grand nombre de théories entoure ce terme, que ce soit sur la définition même du mot ring-fort, que sur la datation de ces constructions ou leurs fonctions. En même temps, quand plus 40 000 sites en Irlande sont identifiés comme des ring-forts, on comprend qu’il soit difficile d’établir un postulat de base pour tous…
Pourquoi une datation si étendue ?
Une thèse, développée par Darren Limbert, établie que la construction des premiers forts circulaires remonte à l’âge de fer et revient au peuple Celte. Cette époque, aussi appelée l’époque pré-chrétienne, est en effet marquée par l’arrivée des Celtes en Irlande en provenance de Grande-Bretagne (environ -500 avant J.C). Bien que ce ne soient pas les premiers habitants de l’île, les habitats celtiques restent dans la même continuité que les peuples de l’époque mégalithiques : habitats en pierre ou en bois de type circulaire. Toutefois, cette thèse ne peut pas s’appliquer à tous les forts circulaires, faute de preuve : peu de sites ont été fouillés intégralement et les preuves sont trop minces pour généraliser cette thèse.
Ainsi, Darren Limbert reconnait que même s’il est possible que les premiers forts aient été construits pendant l’âge de fer, la majorité ont été construits pendant la période paléochrétienne (400 à 500 après J.C). Il a notamment mis en évidence les similitudes existant entre les ring-forts irlandais et les forts circulaires du Pays de Galle datant du début de la chrétienté. Mais, là encore, des incohérences subsistent.
Une autre théorie, pas forcément contradictoire, développe l’idée que les forts circulaires étaient utilisés à la fin du Moyen-âge (900 à 1100 après J.C). Cette théorie est fondée sur le fait qu’aucune autre forme d’habitation n’ai été découverte pour la période du Moyen-âge, donc si les irlandais n’habitaient pas dans les forts, où habitaient-ils ? Les forts circulaires seraient plus évoluées, inspirées des bâtiments normands, construits sur des promontoires ou bien transformés en château.…
La théorie admise par la majorité des archéologues est que la construction des forts circulaires remonte au début du Moyen-âge (600 à 900 après J.C). Cette théorie repose en effet sur des preuves plus concrètes provenant des travaux de Matthew Stout, appuyée sur l’étude de 114 ring-forts, soumis à une datation au radiocarbone et à une dendrochronologie (étude des cernes du bois).
Des quatre forts circulaires visités, Staigue Fort (Co. Kerry) est le plus ancien (entre 300 à 400 après J.C). Cahergal, prés de Cahersiveen (Co. Kerry), est estimé à 600 après J.C. Enfin, Leacanabuaile (Co. Kerry) et Cahercommaun (Co. Clare) sont estimés à 800 après J.C.
A la fois lieu d’habitation et d’artisanat…
La fonction première des forts circulaires est liée à la façon dont la société celtique était organisée : en tuath, c’est-à-dire en tribu organisée autour d’un roi (ri). La population celtique était disséminée sur un large territoire et il n’existait quasiment pas de village : les forts apportaient protection à la famille. Ainsi, une majorité des forts étaient de simples fermes comprenant l’habitation de la famille et l’étable. Certains forts étaient même exclusivement utilisés pour le bétail.
Dessin de Staigue Fort – Source : voicesfromthedawn.com
C’est le cas par exemple du fort Cahercommaun, dans le comté de Clare, où les fouilles archéologiques ont permis d’établir qu’environ 40 personnes y vivaient en autosuffisance, grâce à l’élevage et l’agriculture.
Mais, les forts circulaires n’ont pas été exclusivement des fermes, ils ont pu jouer également un rôle plus diversifié et important dans l’économie locale en abritant des artisans ou en étant des lieux de commerce. Staigue Fort par exemple, non loin de Sneem dans le comté du Kerry, aurait eu plusieurs fonctions dont une place forte défensive pour un roi local, un observatoire ou encore un temple mais également un lieu d’artisanat, puisque une extraction minière de cuivre à été découverte à proximité.
Les bâtiments à l’intérieur même de l’enceinte du fort étaient généralement construits en bois, avec des toits de chaume. Mais, certaines fondations étaient réalisées en pierre et sont encore visibles aujourd’hui, comme dans le fort de Leacanabuaile où l’on peut distinguer les murs de quatre bâtiments, ou à Cahergaloù un unique bâtiment circulaire occupe l’intérieur du fort.
Les forts circulaires auraient également servis de lieu de culte au peuple celtique. Des restes d’animaux retrouvés dans les fouilles auraient permis d’établir l’importance des ring-forts dans les rituels d’accouplement irlandais par exemple : des animaux étaient sacrifiés pour bénir l’acte.
Plan de Leacanabhaile – Source : voicesfromthedawn.com
… son rôle est également défensif
Le rôle défensif du ring-fort est également indiscutable, de part son enceinte fortifiée, la présence de fossés et sa forme circulaire offrant de larges perspectives sur les environs. Les défenses étaient plus ou moins élaborées, avec un ou plusieurs remparts concentriques, des accès au centre du fort labyrinthiques, et des passages souterrains donnant sur des caches secrètes ou permettant l’accès à d’autres bâtiments du fort. Pour renforcer les défenses, un muret pouvait être construit à l’extérieur, sur lequel était placé des rochers brisés avec les pointes orientées vers le haut afin d’empêcher l’approche de cavaliers.
Modèle de fort – Source : medbherenn.com/society-of-ireland.html
De plus, les ring-forts ne seraient pas positionnés au hasard. Une étude sur la théorie du ‘visual territories’, c’est-à-dire l’idée que chaque ring-fort serait au moins en contact visuel avec un autre fort, a permis de mettre en évidence 17 ring-forts dans ce cas là, dans la vallée de Braid du comté d’Antrim. Cela permettrait en effet d’alerter la population en cas d’attaque et éventuellement de faire parvenir des secours.
Sur les quatre forts circulaires visités, seul Cahercommaun, dans le Burren, est composé de plus d’une enceinte. Situé en haut d’un plateau et dominant une vallée boisée, sa position stratégique sur un promontoire a peut-être également joué dans son rôle défensif. Ce fort est composé de deux remparts demi-circulaires et d’une enceinte circulaire à l’intérieur de 3 m d’épaisseur. Le mur d’enceinte a été construit à partir de 16 500 tonnes de pierres et formait un cercle avant qu’une partie du mur nord ne s’effondre dans la falaise. Aujourd’hui, il s’agit principalement de ruines envahies par la végétation, tant est si bien qu’il est difficile de se représenter ce fort autrement que par des photos ou des représentations aériennes.
Plan de Cahercommaun – Source : megalithicireland.com
À Staigue Fort et Cahergal, des escaliers ont été construits dans la paroi et forment plusieurs paliers, menant à la plateforme supérieure, probablement le chemin de ronde, qui devait être protégé par des palissades en bois. Staigue Fort est également entouré d’un large fossé, plus visible sur le côté nord, qui participé à sa défense.
Enfin, Leacanabuaile est un bon exemple de fort circulaire doté de passages souterrains : deux chambres ont été construites à l’intérieur des parois du mur, dont une est accessible par un souterrain.
Symboles et légendes autour des Ring-forts
D’anciens textes révèlent la symbolique du Ring-fort : le roi d’un tuath ne peut rester à la tête de son clan que s’il dispose de remparts suffisants pour assurer sa protection. Le ring-fort est donc aussi le symbole du statut social, plus le fort est élaboré et grand, plus le statut de son occupant est élevé. Cela expliquerait la prolifération des forts circulaires à une époque où de nombreuses tribus peuplaient le pays et où, d’une génération à une autre, les tribus évoluaient et les chefs de clan changeaient beaucoup.
De nombreuses traditions Irlandaises locales insistent sur le fait que les « anciens » utilisaient des passages souterrains connectant les forts les uns aux autres. Il existerait un souterrain reliant Leacanabuaile à Cahergal, situé à environ 500m en contrebas, et même à Ballycarbery Castle, encore 1km plus loin. Pourquoi ces deux forts ont – ils été construit si prés l’un de l’autre ? Avaient – ils des fonctions différentes comme le suppose certaines sources (Cahergal comme Amphithéâtre et Leacanabuaile comme lieu d’habitation d’un chef de clan) ? Mais, étaient – ils seulement occupés en même temps ?
Certaines croyances ont pu contribuer à la survie de quelques sites, comme la légende entourant Staigue Fort qui lui aurait évité d’être démantelé. Cette légende raconte qu’un homme qui aurait enlevé les pierres de Staigue Fort entendit chaque nuit sa maison se faire bombarder jusqu’à ce qu’il retourne toutes les pierres au fort.
D’autres contes populaires alimentent le côté folklorique et féerique des ring-forts. Un écrivain, Sigerson Clifford, de la région de Cahersiveen, raconte par exemple le déroulement d’un match de football entre les fées de Staigue Fort et les fées de Cahergal : Coneen est un jeune irlandais recruté pour jouer dans l’équipe de Cahergal, mais sa mère, craignant les pouvoirs des « petites gens » fait en sorte qu’il rate le match. Mais les fées, folles de désespoir d’avoir perdu leur héros, frappèrent le jeune homme d’un mal inconnu qui l’obligea à rester 9 mois au lit, en dépit des soins prodigués par les prêtres, les sages-femmes et les médecins.
Ainsi, une grande part de mystère entoure encore les ring-forts d’Irlande. Compte tenu de leur nombre important, plusieurs sites n’ont pas fait l’objet de fouilles archéologiques, ce qui explique le peu d’informations trouvées pour certains lieux. Cette part de mystère est ce qui rend les ring-forts si attrayants et attirants : loin des sites touristiques phares, la plupart du temps envahies par la végétation et perdues au milieu de la nature Irlandaise, entourés de moutons, ils permettent de faire marcher notre imagination et laissent aux voyageurs un sentiment d’émerveillement.