Châteaux de Stirling en Écosse et de Termes en France
Au Moyen-Âge, une place forte est un enjeux stratégique important qui permet d’asseoir la domination d’un seigneur sur le fief. L’histoire est marquée de plusieurs événements relatant la prise de ces châteaux, passant de mains en mains, tel le jeu d’un échiquier. Difficile d’accès et dotée de fortifications, il s’agit à la fois d’un lieu défensif, protégeant un seigneur et ses sujets, mais également d’un lieu offensif, pouvant servir de repli aux garnisons ou de base pour le redéploiement de l’armée vers un champ de bataille plus grand. Le siège est souvent l’unique moyen de faire tomber l’adversaire retrancher derrière ses murailles : en coupant court à tout approvisionnement puis en l’assaillant et en le bombardant. C’est pourquoi de nombreuses techniques et armes de siège furent développées et employées au cours de la période médiévale.
Le château de Stirling en Écosse et le château de Termes dans les Corbières en France ont tous deux connus des périodes de sièges durant le Moyen-Âge. Pourquoi risquer de prendre ces places fortes ? Y-a-t-il des similitudes au niveau des techniques de siège employées, des engins utilisés entre ces deux châteaux ? Le château de Termes a connu deux sièges : celui de 1210, le plus connu et inscrit au cœur de la croisade contre les Albigeois (1208-1229), croisade proclamée par l’Eglise Catholique contre l’hérésie Cathare, et un autre au 17e siècle. Seul le siège de 1210 sera ici abordé. Pour Stirling, château royal d’une autre envergure, 8 sièges ont marqué son histoire entre 1299 et 1746. Nous n’évoquerons ici que celui de 1304, le plus documenté, se déroulant pendant la Première Guerre d’Indépendance (1296 – 1328) qui opposa le Royaume d’Écosse au Royaume d’Angleterre.
Une place forte aux enjeux stratégiques importants
Pour risquer de s’en prendre à une forteresse, les enjeux doivent être conséquents. Celui qui contrôle la place forte contrôle généralement le territoire qui l’entoure, ce qui peut faire pencher la balance en faveur du conquérant lors d’une guerre. Enjeux politiques, religieux et militaires se mêlent dans la conquête d’une place forte.
Ainsi, le siège du château de Termes de 1210, qui est mené par Simon de Montfort, un des « barons du Nord » tandis que la citadelle est défendue par Raymond de Termes, déclaré coupable d’hérésie pour avoir protégé des cathares, est un enjeu stratégique dans la lutte contre la catharisme. Termes, avec Minerve et Lastours, constitue une des dernières places fortes importantes contrôlant le Sud de Carcassonne et résistant encore aux croisés. Simon de Montfort doit la conquérir pour asseoir son pouvoir sur la Vicomté. Après avoir conquis Minerve le 22 Juillet 1210 et mis au bûcher plus de 140 cathares, il se lance à l’assaut de Termes le 1e Août 1210.
Stirling est une place forte importante constituant le point d’entrée dans les Highlands. Les plaines qui l’entourent étaient à l’époque de vastes tourbières et l’unique point pour traverser la rivière Forth, qui coupe le pays d’Est en Ouest, se trouvait au pied du château : le pont de Stirling. Qui contrôle ce point de passage sur la rivière Forth contrôle également les accès au Nord de l’Écosse. Ce bastion clé prit toute son importance pendant les Guerres d’Indépendance et changea de nombreuses fois de camp. En 1304, Stirling est le dernier bastion aux mains des écossais, commandé par Sir William Oliphant. Edward Ier lance la siège du château en Avril 1304.
La bataille du Pont de Stirling
En 1296, Edward Ier d’Angleterre envahit l’Écosse et prend possession de Stirling qui était alors abandonné. À cette époque, il n’y avait pas de gouvernement écossais stable en place. La première lutte pour occuper cette place forte stratégique commença ici, au pied du château où se déroula la célèbre bataille du pont de Stirling, opposant la garnison Anglaise, postée dans la forteresse, aux troupes écossaises menées par William Wallace et Andrew Murray.
Extrait du documentaire « A History Of Scotland – Hammers Of The Scots » diffusé sur BBC One
Ils choisirent d’intercepter l’armée anglaise en ce lieu en toute connaissance de cause. En reprenant Stirling, ils pourraient contrôler les accès au Nord de l’Écosse et freiner l’arrivée de l’armée Anglaise. Mais, l’infanterie écossaise pouvait difficilement faire face à la cavalerie anglaise, elle choisit donc de se poster sur les pentes de la colline d’Abbey Craig, non loin du pont de Stirling. Pour les affronter, les Anglais devaient traverser le pont et c’est là toute la stratégie de Wallace. L’arrogance des Anglais, qui n’avaient aucune crainte face aux rebelles, leur coûta l’issue de la bataille : ils traversèrent la rivière Forth et les écossais les prirent en tenaille sur la petite parcelle de terre située dans le méandre de la rivière, avec un repli difficile par l’étroit pont de Stirling…
Des défenses naturelles autour d’une fortification imposante
Une place forte permet de protéger une zone, une frontière, un nœud de communication, sa situation est donc primordiale. En hauteur, le château domine le territoire, les assaillants sont vus de loin et sa défense est renforcée. Cela lui permet aussi de montrer sa puissance et sa richesse. En exploitant les accidents du relief, les avantages naturels d’un terrain, un château peut accroître ses défenses et se rendre difficile d’accès. Le château de Termes et le château de Stirling ont ainsi tous deux été construit sur un piton rocheux.
Le moine Pierre des Vaux-de-Cernay, qui relata dans « Histoire Albigeoise » le siège de Termes, décrivit le château comme « imprenable », « entouré de ravins profonds et inaccessibles où couraient des torrents ». Les Gorges du Termenet entourent effectivement le roc sur lequel se dresse le château, le rendant ainsi inaccessible côté Nord. À cette première barrière naturelle qui permet de protéger la forteresse s’ajoute une petite fortification construite au sommet de la crête Nord, dominant les Gorges, le Termenet. Le seul accès au château se fait par le côté Sud, là où la pente est plus douce. C’est aussi là que le village est à l’époque installé, sur les terrasses naturelles de la colline, protégé par plusieurs murs d’enceinte, dont il ne reste aujourd’hui que quelques murets. Il y aurait eu au minimum deux faubourgs protégés entourant le château, celui-ci étant également protégé par deux enceintes dont la première comportait des tours cylindriques ou des échauguettes à ses angles. Il ne reste aujourd’hui que les vestiges de ces deux enceintes.
Essai de restitution du site castral en 1210 par M. Hannes Ceulemans (Wikipédia)
Autour de Stirling s’étendaient de grands marais infranchissables et, comme il a été dit plus haut, seul le pont de Stirling permettait de traverser la rivière Forth. L’éperon rocheux sur lequel a été construit le château permettait de dominer toute la plaine. Le château d’aujourd’hui n’a toutefois pas grand chose à voir avec celui du 13e siècle ou du 14e siècle. Les Guerres d’Indépendance ont considérablement endommagé le château et de nombreuses transformations ont été réalisé par la suite. Le château était probablement construit en bois et en pierre et était beaucoup plus petit. Le seul accès au château, côté Sud-Est, comprenait plusieurs fossés et l’entrée était entourée de quatre tours deux fois plus hautes qu’aujourd’hui.
Représentation artistique du château de Stirling au 14e siècle par Andrew Spratt (Clan Oliphant)
Le blocus, une guerre d’usure
Devant la difficulté à s’emparer d’un château, le siège est la solution la plus courante au Moyen-Âge. La technique du siège, que ce soit pour la défense ou pour l’attaque, se nomme la poliorcétique. L’opération principale vise à faire un blocus qui permet d’affaiblir la place forte en la coupant de tout soutien, que ce soit le renfort militaire ou l’approvisionnement en vivres. Les assaillants espèrent ainsi obtenir la reddition plutôt par l’usure et le temps que par la force. La préparation à un siège est également primordiale pour les deux camps : faire le plein de ressources, de matériaux pour les consolidations, les réparations, la construction d’engins de siège etc…
Vestiges de la tour de l’angle Nord du château de Termes, dominant les Gorges du Terminet
Ainsi, le fait que Raymond de Termes ait pu se préparer avant l’arrivée de Simon de Montfort, en recrutant le plus grand nombre de chevaliers possibles ainsi qu’un ingénieur spécialiste des machines de guerre et en faisant stocker une grande quantité de vivres, permit au siège de Termes de tenir quelques temps. Mais, lorsque les attaquants prirent le fortin du Termenet, les assiégés n’eurent plus aucun accès à l’eau des sources des Gorges du Termenet et les citernes du château commencèrent à se vider, ce qui conduisit Raymond de Termes a envisager une négociation.
Vue sur la poterne Ouest du château de Termes, menant au fortin du Termenet
Lorsqu’un siège tire en longueur, les deux camps sont également confrontés à des risques de maladies et une démoralisation des troupes. À Termes, après les négociations entre les deux parties et à la vieille de la reddition des assiégés, un orage « miraculeux » éclata et remplit les citernes. Du coup, le lendemain, Raymond de Termes refusa de se rendre… Néanmoins, de l’eau avait croupi au fond des citernes et malgré la nouvelle eau fraîche, la dysenterie décima la garnison. Le siège, qui dura au total quatre mois, se termina peu de temps après, lorsque Raymond de Termes et le reste de ses hommes essayèrent de fuir le château.
Pour le siège de Stirling, le roi Edward Ier s’était bien préparé et avait recruté un grand nombre de menuisiers, de terrassiers et autres ouvriers pour assembler pas moins de 13 engins de siège dont le plus grand trébuchet jamais construit, le Warwolf. Pendant plus de trois mois, les défenseurs, qui n’était apparemment pas plus de 30, résistèrent, mais la famine et plus probablement la vue de la terrifiante machine de guerre, conduisirent à leur reddition le 20 Juillet. Mais, Edward Ier la refusa tant qu’il n’avait pas vu le Warwolf en action. Ainsi, le siège de Stirling joua plus sur la terreur provoquée par la quantité et la puissance des engins de siège que sur le manque de ressources. Les attaquants avaient toutefois le moral en berne et Edward Ier dû à plusieurs reprises motiver ses troupes, à cheval prés des murs du château, ce qui lui valut de risquer sa vie deux fois (par un carreau d’arbalète et par une chute de cheval lorsqu’une pierre atterri prés de lui).
Les engins de siège, pour assaillir et bombarder
Les ressources d’un château fort et de ses faubourgs peuvent être importantes, surtout si les habitants ont eu le temps de se préparer. Le blocus à lui seul ne suffit plus, il est donc primordial de faire tomber le château le plus vite possible. Afin d’affaiblir un peu plus la cité de ses défenses matériels et humaines, il faut la soumettre à une série d’assauts et de bombardements. Plusieurs techniques employées au Moyen-Âge étaient déjà utilisées à l’Antiquité, comme la tour mobile, le bélier, le chat (abri protégeant le travail de sape). Mais, d’autres techniques furent développées pour pouvoir faire face aux défenses en pierres des châteaux médiévaux, notamment les artilleries de contrepoids. Parmi elles, on retrouve la pierrière, la bricole, le trébuchet et le mangonneau. La caractéristique commune à ces machines est qu’elles sont fixes, il faut donc les positionner judicieusement et les protéger des tirs ennemis (par des palissades en bois par exemple) et des assauts de l’ennemi qui pourraient les endommager .
Bas-relief de la cathédrale de St Nazaire de Carcassonne représentant une pierrière (Wikipedia)
Les engins siège à Termes
À Termes, la première action de Simon de Montfort fut d’attaquer la cité par le Sud à l’aide de pierrières qui bombardèrent nuits et jours les murailles. Une pierrière est la plus simple machine de siège, qui fait uniquement appel à l’usage de la force humaine. Le principe de base est d’avoir un bras balancier au bout duquel, dans une poche, on place le projectile, puis, on tire une corde attachée à l’autre côté jusqu’à ce que le bras vienne buter sur une pièce en bois et permette au projectile de partir. Une pierrière peut jeter des pierres de 3 à 12 kg, à 40 ou 60 mètres à tir tendu. Elle se révèle toutefois faible contre de solides murailles mais peut bombarder les hommes et protéger ainsi les travaux de sape, d’autant plus qu’elle mobilise peu d’hommes et a une cadence de tir élevée. Les travaux de sape, quant à eux, visent à faire s’écrouler une muraille en s’attaquant aux fondations, soit en s’approchant directement de la muraille, en enlevant des pierres et en mettant le feu aux fondations, soit en creusant un tunnel et en y mettant le feu, provoquant l’effondrement de la section de muraille située au-dessus. Les attaquants peuvent être protégés des pierres jetées des murailles par une structure en bois, comme le chat.
Ces premiers bombardements permirent de créer une brèche dans la première enceinte de Termes et un assaut fut donné. Mais, les assiégés préfèrent incendier le faubourg et se retrancher derrière les remparts du deuxième faubourg. Ils attaquèrent par la suite toute intrusion dans le premier faubourg, ce qui coupa court à toute avancé du côté Sud. Malgré les bombardements des engins de siège et les nouvelles brèches crées, il fut difficile de mener un autre assaut au Sud car toute portion de rempart affaiblie était tout de suite consolidée par une nouvelle muraille faite de poutres et de pierres.
Reproduction d’une pierrière :
Devant cette impasse, Simon de Montfort va essayer de bloquer Termes de toute part en s’attaquant au fortin du Termenet. Un mangonneau fut construit, non sans difficultés, sur la crête entre le château et le Termenet, mais à bonne distance des remparts pour éviter les tirs d’un autre mangonneau que les assiégés avaient également monté. Un mangonneau est une machine plus complexe utilisant des contrepoids à la place de la force humaine et un système de poulies et de treuils pour la recharger. Cela permet de gagner en distance, avec une portée de plus de 150 mètres, et en poids des projectiles, pour des pierres d’environ 100 kg. Mais, l’inconvénient de cette machine est qu’elle mobilise une quinzaine d’hommes pour son fonctionnement et a un temps de rechargement d’une à deux heures.
Représentation d’un mangonneau (Wikipedia)
Le mangonneau bombarda le Termenet sans discontinuité et, une nuit, ses défenseurs finirent par prendre la fuite. Les croisés récupérèrent le fortin, empêchant ainsi le ravitaillement en eau par les Gorges. Puis, un autre mangonneau fut construit sur un rocher escarpé, gardé par 300 sergents et 5 chevaliers. Les assiégés prirent une telle peur qu’ils envoyèrent 80 hommes pour y mettre le feu. Seul un chevalier résista, Guillaume de l’Écureuil, tandis que le reste de la garnison fuyait. Il arriva miraculeusement à repousser les assaillants jusqu’à ce que les croisés créent une diversion pour contrer l’attaque du mangonneau…
Les engins de siège à Stirling
En 1304, Edward Ier assiège Stirling avec pas moins de 12 engins de siège. Il s’agit très probablement de trébuchets. Cette machine est une évolution du mangonneau, avec cette fois un contrepoids mobile qui vise à mieux accompagner le mouvement de balancier du bras. La portée de tir est estimée à 200 mètres et le projectile peut atteindre 125 kg maximum mais elle reste une machine mobilisant de nombreux hommes et sa cadence de tir est encore faible.
Représentation des armes et techniques de siège employées durant le siège de Stirling (The Castle Guy)
Les 12 trébuchets bombardèrent Stirling de pierres et de balles de plomb (celui-ci fut récupéré sur les toits des églises voisines). Certains chercheurs pensent même que des armes à feu auraient pu être utilisé par les anglais durant le siège car Edward Ier avait commandé un ravitaillement en souffre et en salpêtre (qui avec du charbon de bois composent la poudre à canon). Mais, il semblerait que leur utilisation la plus probable ait été de faire un combustible, un genre de feu grégeois, à envoyer grâce aux trébuchets. Face à ces bombardements massifs, plusieurs écossais prirent refuge dans les grottes situées sous le château. En plus de ces engins de sièges, un beffroi (une tour de siège) fut montée ainsi qu’un bélier, qui s’avéra peu utile en fin de compte. Il est également possible que le fossé ait pu être comblé pour atteindre la muraille et permettre aux soldats de grimper au mur à l’aide d’échelles.
Représentation artistique du siège de Stirling (Historic Scotland)
Pendant ce temps, sous la direction de l’ingénieur James Of St George, le plus grand trébuchet jamais construit, le Warwolf fut construit. Ses composants étaient répartis dans 27 chariots séparés, sa construction s’étala sur trois mois et mobilisa 5 charpentiers et 49 ouvriers. Dés le premier tir du Warwolf sur les créneaux de la muraille, le mur fut détruit et Edward Ier accepta la reddition des écossais, mettant ainsi un terme au siège.
Essai de reproduction du Warwolf par l’équipe NOVA :